En 1985, bien décidé à devenir éleveur, je largue ma vie de conseiller juridique, achète une ferme presque en ruine, négocie quelques chèvres anémiques, récupère cinq hectares d’une terre que les gens du coin nomment « les délaissées ». Vient alors le temps des rires et des chants ! Notre maison est celle du Bon Dieu. Nous écoutons pousser barbes et cheveux. Mais vivre d’amour et d’eau fraîche est un doux rêve que rapidement la faim estompe. Il va falloir se mettre au boulot.
Faucher à la faux, tasser le foin en vrac, accompagner les caprines aux maquis, traire à la main, élever notre chien de berger, mouler nos fromages à l’ancienne, faire notre pain, couper notre bois… Vivre presque en autarcie. Ces gestes d’avant, ce sont les anciens qui vont nous les enseigner. Aujourd’hui ils ne sont plus là. Leurs modestes exploitations sont devenues maisons de vacances ou méchants tas de pierres.
Nous avons été les témoins privilégiés d’une époque frontière, une époque qui n’existe plus. Sers-toi un thé, installe-toi dans ton vieux canapé et suis moi, je t’emmène sur les traces d’un chevrier qui venait de la ville.